Je vous offre un verre ?

 A l’occasion des fêtes qui approchent, certains d’entre nous mettrons peut-être à l’honneur, sur leur table, des bouteilles de champagne, de vins un peu exceptionnelles ou de spiritueux pour finir un repas festif.

Je me saisis de cette occasion pour vous rappeler que Nicolas Levallois, fondateur de la Ville, était marchand de vin avant de venir lotir des terrains. Je vous invite à faire la tournée des nombreux cafés, bistrots, commerces de vin et sociétés de spiritueux qui ont pris place au sein de Levallois.

Le village Levallois (qui deviendra Ville de Levallois-Perret en 1867) se développe entre 1845 et 1866. En 1865 un tiers des commerçants est marchand de vin, ils sont 126, et deux ans plus tard on en compte 46 de plus, pour finalement en dénombrer 248 en 1904.

La florestine des Alpes

En 1840, alors que Levallois n’est encore qu’un petit village, administrativement dépendant de Neuilly et Clichy, une première distillerie s’y installe place Chaptal. Rapidement, elle est gérée par Henri Legrain et Victor Stinville, « La Florestine des alpes », qui connait un certain succès à cette époque y est notamment produite.

En 1904, Henri Legrain est bien connu des habitants, car outre le fait d’être dirigeant de la maison Legrain et Stinville qui est connue pour ses liqueurs de marque, il est Président de l’Harmonie Municipale des Sapeurs-Pompiers, Président de la société de tir, Président depuis sa fondation du Vélo-Club de Levallois…

Pour en revenir à la distillerie Legrain et Stinville, elle est aménagée sur 1 200 mètres carrés, et emploie 35 personnes. Elle s’est spécialisée dans la production de sirops et la distillation de liqueurs diverses, dont la « Florestine des Alpes ».

L’usine prospère et trouve des débouchés dans toute la région. Sur les publicités, on peut même lire « seul concessionnaire pour la France et l’étranger » ! Mais le décès de monsieur Legrain et le départ de monsieur Stinville en 1909 entrainent sa fermeture.

Le vin Désiles

« Cordial et régénérateur » est le slogan du vin Désiles (et non des Iles !) « En vente dans toutes les pharmacies » est un bel et surprenant exemple de ce que l’on trouvait dans la pharmacopée à la fin du 19 eme siècle. Celui-ci « est préconisé à prendre avant chacun des deux repas, afin de ressentir au maximum ces effets réchauffant et tonifiant sur les fibres musculaires ! »

Le vin et la liqueur « médicament » sont les rois dans les ventes des officines. Les potions élaborées par les pharmaciens, certains docteurs ou distillées dans de lointaines chartreuses sont légions. Les produits proposés témoignent d’une grande variété, et si les liqueurs préparées grâce à de vieilles recettes (tenues secrètes par des générations de bons moines ou de bonnes sœurs), sont très appréciées, la palme revient sans conteste aux préparations à base de quinquina.

Le vin Désiles « cordial reconstituant », associe des extraits de Kola et de Coca à de la quinine (antipaludique découverte par les chimistes Pelletier et Cavantou en 1820). Cousin d’une célèbre boisson gazeuse américaine, adopte une présentation « apéritive », plus conforme au gout français de cette époque.

Je vous en livre la recette :

Si ce breuvage n’était pas distillé à Levallois, c’est le dépôt général de la production qu’y s’y trouvait, et plus précisément au 18 rue des Arts (actuelle rue Marius Aufan).

L’Amer Picon

Au début du XIX e siècle, Gaétan Picon (1809- 1882), sous-officier de l’armée française, compose l’Amer Picon pour sa propre consommation lors de la conquête de l’Algérie. Constituée à base d’écorces d’orange, de quinquina, de gentiane et d’autres plantes macérées dans de l’eau de vie, cette boisson est appréciée pour ses vertus désaltérantes et fébrifuges. Elle remporte très vite un vif succès auprès des frères d’armes de Gaétan Picon qui décide de se lancer dans sa commercialisation dès la fin de sa mobilisation en 1837.

Après avoir ouvert différentes usines en France, comme dans d’autres parties du globe, la société ouvre son dernier établissement français à Levallois en 1894, au 98 rue Gide (actuelle rue Paul-Vaillant-Couturier). Implantée sur 5 000 mètres carrés, l’usine produit jusqu’à 40 000 litres par jour.

Usine Amer Picon rue Gide
Sortie des ouvriers de l’usine Amer Picon

La société Picon est novatrice non seulement pour ses procédés de fabrication et d’embouteillage, mais aussi pour sa publicité et les avantages sociaux offerts à son personnel.

A l’aube du XX ème siècle, elle met en place une caisse de secours et de chômage au sein même de l’entreprise.

En 1935, la société Picon est au premier rang des entreprises françaises dans le domaine des spiritueux, mais la Seconde Guerre mondiale ne l’épargne pas. L’entreprise arrive à maintenir pourtant dans leur intégralité les salaires du personnel. Au sortir de la guerre, Picon signe divers accords pour lancer de nouveaux produits : Whisky, Champagne, Vodka, Armagnac, Xeres… La société Picon quitte son statut d’affaire familiale pour devenir une société anonyme en 1956. L’usine de Levallois est détruite en 1971.

En 1904, 5 distilleries sont présentes sur notre commune.

D’autres breuvages…

Outre ces alcools forts, on trouvait à Levallois à la même date, 248 commerces de vins, dont 30 marchands de vin en gros.

Certains marchands de vin ont acquis une certaine notoriété… Comme je vous le disais au début, il est difficile de ne pas citer Nicolas Levallois, mais nous pouvons aussi évoquer Jean Bonal, qui en 1895 fonde une société de négoce en vins au 44 rue Voltaire, et déménage en 1902 à la Garenne-Colombes dont il en devient le premier Maire.

Je me permets de vous rappeler que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, alors… faites-vous plaisir mais conviez notre amie modération !

Joyeuses fêtes à tous

Pierre Dargent, un des héros de Bir-Hakeim

Le 11 novembre dernier, Hubert Germain, qui a participé à la bataille de Bir-Hakeim, et dernier compagnon de la Libération a été inhumé dans la crypte du Mémorial de la France combattante au Mont-Valérien, à Suresnes. Sa dépouille a été transportée sur un engin blindé, sans tourelle, baptisé « Bir-Hakeim ».

Cette bataille (27 mai- 11 juin 1942) a un effet capital pour la reconnaissance de la France libre.

Je vous propose de découvrir la vie de l’aspirant Dargent (Levalloisien), et la bataille de Bir-Hakeim à laquelle il a, lui aussi, pris part.

Un Levalloisien dans l’Histoire

Pierre Dargent est né le 22 juillet 1922 à Dôle, dans le Jura. Sa famille vient s’établir à Levallois dans les années trente et réside au 94 rue Chaptal.

Le recensement de population de 1936 mentionne Pierre DARGENT comme étudiant en Sciences Politiques.

Refusant la défaite de 1940, Pierre Dargent embarque pour l’Angleterre en août 1940 et s’engage dans les Forces Françaises Libres, pour défendre les valeurs de la France, et celles la République.

Le 21 mars 1941, à Brazzaville, Pierre Dargent prononce une allocution devant le général de Larminat, à l’occasion de l’inauguration du camp Colonna d’Ornano (le Saint-Cyr de la France Libre) qu’il s’apprête à intégrer en tant qu’élève officier : « Mon Général. Nous verrons un jour la proue de notre navire dirigée vers la France. Nous arracherons à nos ennemis et par les armes et par la force souveraine d’une volonté indestructible, les bonheurs qu’ils nous ont ravis ».

Cette allocution finit par ces mots : « Action – Sacrifice – Espérance. Mon Général, mettez-nous à l’épreuve ! »

A l’issue de cette formation militaire, l’aspirent Dargent combat dans différents lieux, notamment en Syrie.

Le tournant, Bir-Hakeim

Pierre Dargent poursuit le combat en mai 1942 à Bir-Hakeim, en Libye, au sein de la 6ème Compagnie du 2ème Bataillon de Marche du Tchad.

Pendant 15 jours, plus de 3 700 Français libres de la 1ère brigade de la France Libre font face à plus de 32 000 soldats allemands et italiens, appuyés par de l’artillerie et des avions. Leur combat est héroïque dans un désert torride, sans protection autre que les trous creusés dans la terre et des champs de mines savamment dispersés.  Leur objectif est de retenir le plus longtemps possible les forces de l’Axe afin de permettre à la VIII ème Armée britannique de se réorganiser. A trois reprises, le Maréchal Rommel demande la reddition des Forces Françaises Libres sans succès.

Plan du camp à Bir-Haheim

Le monde entier suit le déroulement de la bataille.

Le 8 juin 1942, Pierre Dargent, doué d’un sang-froid et d’un courage exemplaires dans chaque mission, est tué en cherchant à atteindre un observatoire dont sa compagnie n’avait plus de nouvelles.

Un tragique instant de bravoure

Le commandant de la 6ème Cie, le lieutenant Tramont décrit dans son rapport les circonstances du décès de l’Aspirant Dargent. « Les Allemands attaquaient dans le secteur de la 6ème Cie depuis 6 heures du matin [8 juin 1942] et cherchaient à s’emparer d’un observatoire de la plus haute importance pour le commandement français… [après une première tentative infructueuse] L’Aspirant Dargent comprenant la gravité de la situation et l’importance de cette liaison, décida d’agir lui-même… arrivé à quelques pas du but, il fut atteint en pleine poitrine par une rafale de mitrailleuse et tué net ».

Le lieutenant Tramont conclut son rapport par un rappel des faits d’armes antérieurs et souligne que Pierre Dargent avait été proposé pour une première citation.

Peu de temps après, le général Koenig reçoit l’ordre de rejoindre les positions britanniques. Complètement encerclés, les Français réussirent à se frayer un passage à travers les lignes ennemies dans la nuit du 10 au 11 juin 1942.

Fin de la bataille

Dans son ordre général du 15 juin 1942, le général Koenig écrit, « Bir-Hakeim est une victoire française ».

Cela peut paraitre surprenant, car dans les faits, l’armée française a perdue du terrain. Mais lorsque Rommel lance son attaque, les positions tenues par les Français ont été évacuées la veille durant la nuit. Les Forces Françaises Libres, seules à Bir-Hakeim, ont réussi à tenir tête à l’ennemi et à les retarder.

Cette (première grosse) victoire française provoque un bouleversement dans la perception de la France Libre comme puissance militaire.

Sir Churchill déclare à la Chambre des communes : « La magnifique résistance des soldats français à Bir-Hakeim, durant plus de deux semaines, a fortement contribué à la sauvegarde de l’Egypte et du canal de Suez. Sans Bir-Hakeim, il n’y aurait peut-être pas eu El Alamein ».

Les honneurs

Pierre Dargent est élevé au grade de sous-lieutenant à titre posthume. Il est inhumé dans le cimetière militaire de Bir-Hakeim, tombe n°168, auprès de ses frères d’armes.

Le 30 juin 1944, il sera déclaré Mort pour la France par le Tribunal Civil de première instance d’Alger.

Pierre Dargent reçoit, à titre posthume, la médaille de la Résistance française par décret le 14 juin 1946 et la Croix de Guerre avec palme le 12 février 1948.

Le Conseil municipal de Levallois, le 19 mars 1948, vote le changement de nom de la rue Neuve de Villiers pour lui donner celui de rue de l’Aspirant Dargent.

La mémoire de Pierre Dargent est honorée le 17 décembre 1950 par une cérémonie de remise du drapeau, en présence du général Koenig, Commandant la 1ère Brigade Française Libre à Bir-Hakeim, sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Levallois.