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Je vous propose un dernier article sur les rues de Levallois qui ont changé de noms… La détermination des noms dans l’espace public relève de la compétence du Conseil communal. La décision d’un nom de lieu est un acte fort, avec souvent une portée politique et mémorielle.

À l’occasion de la journée internationale du droit des femmes (qui a eu lieu le 08 mars), je voulais vous faire découvrir des rues, squares et places qui ont pris le nom de femmes célèbres, qui sont liées à Levallois, ou qui ont joué un rôle au sein de notre commune. Hélas, à l’inverse, une rue et une place portaient des noms de femmes, et elles les ont perdus au profit de noms d’hommes.

Une rue et une place ont perdu leur féminité

La rue Eugénie

Rappelons qu’au début du XIXe siècle, une poignée de riches propriétaires possèdent 85% de la surface de la ville actuelle. En 1822, l’un d’eux, Jean-Jacques Perret, tente une opération de lotissement de soixante terrains sur vingt hectares. C’est ainsi que naît le Champ Perret, qui dépend de la commune déjà constituée de Neuilly-sur-Seine.

Eugénie est le prénom de la fille de Jean-Jacques Perret, mais aussi celui de la princesse de Montijo, épouse de l’Empereur Napoléon III, et Impératrice des Français (les pionniers de Levallois, étaient pour la plupart, bonapartistes). En donnant ce prénom à cette voie, il s’agit donc d’un double hommage.

Longue de 1 425 mètres, elle est percée en trois fois, à partir de 1843. En 1858, cette rue est éclairée par des lampes à huile. Le dernier tronçon sera terminé en 1910, mais elle ne portait déjà plus ce nom à ce moment-là, car elle est rebaptisée en 1883 rue Danton.

La place de la Reine Hortense

Commençons par expliquer qui est la Reine Hortense… et ce n’est pas simple : Hortense est la mère de Napoléon III, et la fille du Vicomte Alexandre François Marie de Beauharnais et de Marie Josèph Rose de la Pagerie, dite Joséphine de Beauharnais. Elle est née en avril 1783. En 1794, son père meurt sur l’échafaud, et deux ans plus tard, sa mère épouse Napoléon Bonaparte. Ce dernier adopte Hortense et son frère. Jusque-là, tout va bien ! Les choses se compliquent en 1802 lorsqu’Hortense épouse Louis Bonaparte, qui est le frère cadet de Napoléon. En effet, Hortense devient la belle-sœur de sa propre mère, et la belle-sœur de son beau-père !  Son fils sera le neveu de Napoléon, et le petit-fils de l’épouse de ce dernier… Une aspirine ?

Elle est appelée Reine Hortense car Louis, son époux, est devenu Roi de Hollande, elle est donc Reine consort de Hollande.

Revenons à Levallois. Il existe une place que tous les Levalloisiens connaissent, et qui a changé de nom à plusieurs reprises. Elle s’est appelé place de la Reine Hortense jusqu’en 1872, puis place de Cormeille jusqu’en 1926, ensuite elle a porté le nom de place Anatole France jusqu’en 1948 pour s’appeler aujourd’hui place du Général Leclerc.

Paris a aussi rendu hommage à cette Reine. Il existait une rue, une avenue, et même un boulevard de la Reine Hortense qui sont aujourd’hui respectivement la rue de l’Élysée, l’avenue Hoche et le boulevard Richard Lenoir.

Elles sont encore au milieu de nos rues

Louise Michel

En 1926, la municipalité de Louis Rouquier décide de donner le nom de Louise Michel (nouvelle fenêtre)  à la rue Vallier, mais cette décision est refusée par la préfecture.  Le Préfet motive son refus par le fait que les hommages publics ne doivent être décernés qu’à des personnalités décédées, sur lesquelles l’Histoire peut se prononcer… La Commune de Paris est un événement encore trop récent pour que la « Bonne Louise » ait une rue à son nom à Levallois. Il faudra attendre une petite vingtaine d’années pour que cet hommage lui soit rendu par décision du Conseil Municipal le 23 novembre 1945. La rue Louise Michel est la rue de Levallois portant un nom de femme la plus longue.

Marie-Jeanne Bassot

Usine de la parfumerie Oriza-Legrand

Antonin RAYNAUD (industriel et maire de Levallois de 1888 à 1890), propriétaire de la parfumerie ORIZA-LEGRAND,  installe son usine dans l’ancienne ferme de Courcelles. Cette rue porte le nom de « rue des Champs ». Elle est percée dans le prolongement de la rue Poccard (actuellement Gabriel-Péri) au-delà de la Planchette.

Par une délibération du 23 novembre 1945, le Conseil municipal la rebaptise rue Marie-Jeanne BASSOT. Ceci en hommage à la fondatrice de la Fédération nationale des centres sociaux et socioculturels de France mais aussi de la Résidence sociale de Levallois, décédée en 1935.

La rue des Champs devenue rue Marie-Jeanne Bassot change à nouveau de nom suite à une délibération du 11 décembre 1989, et devient avenue de l’Europe, coupée par une place qui a conservé le nom de M.J.BASSOT.

Mathilde Girault

Mathilde Girault

La rue Mathilde Girault est située entre la rue Baudin et la rue Paul Vaillant Couturier. Elle est dans le prolongement de la rue Antonin Raynaud.

Mathilde Girault a œuvré aux côtés de Marie-Jeanne Bassot au sein de la Résidence sociale, puis en 1920, elle adhère à l’Union Notre Dame, et crée neuf ans plus tard Le Lien pour apporter un appui aux anciennes de l’École d’Action sociale de Levallois puis à toute travailleuse sociale catholique. Elle en fut l’animatrice jusqu’en 1969.

La comtesse Greffulhe

Cette rue a porté le nom de rue Bin jusqu’en 1890. Il s’agit d’une des rares rues de Levallois qui ne décrive pas une ligne droite. Elle prend naissance place de la Libération, et se finie dans la rue André Malraux.

Félicité Pauline Marie de la Rochefoucauld d’Estissac, née en 1824, appartient à la Maison de la Rochefoucauld, une des plus anciennes familles subsistantes de la noblesse française. En 1846, elle épouse le Comte Charles Greffulhe, banquier et homme politique. En 1873, la Comtesse Greffulhe fonde un hospice à Levallois, rue de Villiers, dirigée par les sœurs de Saint Vincent de Paul. Cet établissement recevait gratuitement « des femmes de 70 ans au moins, non atteintes de maladies incurables ou contagieuses, et présentant un certificat de bonne vie et mœurs ». Il semble bien que l’hospice Greffulhe, a été fondé surtout au départ pour les domestiques âgées dont on n’avait plus besoin.

La fondation Greffulhe a évolué, déménagé, mais une rue portant le nom de cette comtesse lui rend encore hommage.

Maryse Hilsz

La rue Maryse Hilsz relie le parc de la Planchette au parc de la Mairie. Jusqu’en 1948, elle s’appelait rue Lannois.

Maryse Hilsz est une Levalloisienne, née en 1901, et pionnière dans son domaine : l’aviation. Après avoir relevé plusieurs défis et battu de nombreux records, elle s’engagera lors de la seconde Guerre mondiale dans la résistance, puis fera partie du premier corps de pilotes militaires féminins. Le 30 janvier 1946, victime du mauvais temps, elle trouve la mort dans le crash de son avion. Elle est inhumée au cimetière de Levallois.

Édith de Villepin

Lors de la séance du Conseil municipal du 28 mars 2002, la collectivité prend la décision de renommer l’espace vert appelé par usage « square Trézel ». En hommage à Madame Édith de Villepin, Maire adjoint à la petite enfance, décédée en 1995, alors qu’elle était encore en fonction, ce square porte son nom.

Cécile Vannier

L’allée Cécile Vannier est créée lors de la séance du Conseil municipale du 1er octobre 2020. C’est un hommage à cette jeune lycéenne levalloisienne, victime de l’attentat au Caire alors qu’elle y était en séjours de vacances. Il s’agit d’une nouvelle voie, située entre la rue de la gare et l’impasse Gravel.

 

« Comme elle au monde, il n’y en a pas deux… » (suite)

Après Comme elle au monde il n’y en a pas deux (première partie) où nous avions laissé Marguerite Boulc’h, dite Fréhel, tout à son bonheur de femme amoureuse, voici la suite de son épopée…

Elle s’exile pour survivre

Le chanteur à succès, Maurice Chevalier, la trompe et la quitte à son tour pour Mistinguett (nouvelle fenêtre). Elle tente de se suicider, sans succès, commence à boire, et à requérir l’aide des paradis artificiels à travers l’éther et la cocaïne. En désespoir de cause, elle part pour un long voyage vers l’Orient, pendant plus de dix ans : elle commence par Saint-Pétersbourg, où elle est invitée par la Grande Duchesse Anastasie. En 1916, elle est en Roumanie, puis elle s’installe à Constantinople. Elle fuit une vie sentimentale ravagée, mais emmène avec elle ses mauvais démons.

Lors de son séjour en Roumanie, elle tombe amoureuse d’un soldat, Eugène, et ils se fiancent. Ils deviennent rapidement l’objet de la jalousie d’un général, lui aussi épris de Fréhel, qui expédie Eugène au front. Il y trouve la grande Faucheuse, pour le plus grand désespoir de Marguerite.

Difficile retour parmi son public

En 1923, elle se décide à rentrer à Paris où elle est rapatriée d’urgence, complétement droguée. À son retour en France, elle a beaucoup changé : ses traits se sont épaissis, et elle a ce visage de matrone des faubourgs qu’elle gardera jusqu’à la fin de sa vie.

Elle renoue rapidement avec le succès, en remplissant l’ Olympia dès 1924, où elle est présentée comme « l’inoubliable inoubliée ». Cette femme meurtrie et affaiblie « chante la poisse, la débine, la misère » avec une voix rauque, qui tort les tripes et bouleverse le public en donnant vie au Paris des « petites gens ». Elle dira : « c’est la vie qui m’a dressée, la rue qui m’a faite telle que je suis, avec mes qualités et mes défauts, la rue qui m’a appris à chanter ».

Le cinéma réclame sa « gueule ». Elle tourne beaucoup, joue successivement dans Cœur de Lilas avec Jean Gabin (1933), film dans lequel son personnage porte le nom de La douleur, Pépé le Moko (1937), Le roman d’un tricheur, la Java, La maison du Maltais… Au final, elle joue dans 17 films.

Images tirées du film Cœur de lilas

Lors de la Seconde Guerre mondiale, Fréhel signe un contrat avec l’organisation « la force par la joie », et part chanter dans des stalags en Allemagne. Elle souhaite entretenir le moral des soldats, et leur donner des nouvelles de leur famille. Ce contrat lui sera reproché après la guerre, car « la force par la joie »(nouvelle fenêtre) est une organisation de loisirs contrôlée par l’État nazi. Elle admet avoir chanté pour des officiers allemands, car elle n’a pas eu le choix, mais raconte avoir aidé des prisonniers à s’évader.

La dégringolade continue

En 1946, totalement ruinée, elle est accueillie dans un hospice du Vésinet. Ses amis font tout pour l’en sortir, et lui trouvent un petit logement dans Pigalle.

Robert Giraud et Pierre Merindol ouvrent un cabaret « les Escarpes », et ont l’idée d’organiser le bal des tatoués (nouvelle fenêtre). Ils font appel à Fréhel, lui promettant un cachet confortable.

Contente de renouer avec ses spectateurs, juchée sur des caisses de vin et accompagnée de Léon la lune, clochard parigot et musicien, elle se produira quelques mois malgré les cachets qui ne lui sont pas versés.

Elle ne se relèvera jamais de ses drames passés. C’est dans une chambre sordide d’un hôtel de passe, au 45 rue Pigalle, complétement démunie, qu’elle meure seule le 3 février 1951. Une foule importante assistera à son enterrement, au cimetière de Pantin.

La chanson réaliste

Aristide Bruant (nouvelle fenêtre) en est certainement l’inventeur. Dans son cabaret de Montmartre, le Chat noir, il chante durant les années 1890 d’une voix puissante, en langage argotique, le sort tragique des ouvriers urbains, né de l’exode rural et de la première révolution industrielle, des apaches et des filles perdues.

Rapidement, la chanson réaliste, genre musical à part entière, devient une spécialité plutôt féminine, et Fréhel en est une pionnière. À partir de 1908, avec Damia, elles triomphent en jouant, en vivant leurs chansons qui deviennent alors de véritables mélos.

Les thèmes récurrents de ces chansons traitent de sujets dramatiques gravés d’une noirceur certaine, souvent inspirés par le quotidien des quartiers populaires de Paris. Les chansons évoquent la pauvreté, les difficultés sociales, la difficile condition des femmes, et autres malheurs du « petit peuple ». Leurs personnages sont généralement prisonniers de leur misère, de leur classe sociale modeste, de leur passion amoureuse…

La chanson réaliste française, de par les sujets qu’elle aborde pourrait être une cousine du blues américain et du gospel.

Fréhel a marqué de son empreinte la scène musicale française. Nombre d’artistes se réclament de son influence, entres autres et dans le désordre: Jacques Higelin, Serge Gainsbourg, Renaud, Brigitte Fontaine, Mano Solo…

« Quand j’ai trop le cafard, je change d’époque. Je pense à ma jeunesse. Je regarde ma vieille photo et je me dis que je suis devant une glace » (célèbre réplique tirée du film Pépé le Moko, que Fréhel s’est plu à reprendre à plusieurs reprises).