Lorsque je vous ai laissés le mois dernier, j’étais démontée, en pièces détachées…
Les États-Unis, me voilà !
Me voilà maintenant répartie dans 214 caisses (dont 36 caisses de boulons, rondelles et rivets), et je suis envoyée à Rouen sur deux convois ferroviaires. Mon bras droit et ma flamme m’ont précédés et sont déjà arrivés à destination.
16 jours sont nécessaires pour me charger à bord de « L’Isère » (nouvelle fenêtre), frégate à hélice et à voile. Au mois de mai, je descends la Seine, jusqu’à Caudebec-en-Caux, où nous appareillons pour ma traversée transatlantique, qui ne ressemble pas à une paisible croisière. Mon arrivée est retardée par une tempête, puis par une insuffisance de charbon qui nous oblige à une escale dans les Açores.
J’entre triomphalement dans le port de New York le 17 juin 1885, et je remonte l’Hudson jusque devant Bedloe Island où le bateau jette l’ancre deux jours plus tard. J’y suis accueillie en grandes pompes par les New-Yorkais. Il ne reste plus qu’à remonter les 350 pièces qui me constituent.

Mon île servait de base militaire, et abritait le « Fort Wood » dont les fondations sont en forme d’étoile à onze branches. Cette structure sert de base pour la construction de mon socle. Il va me falloir patienter un an avant d’être remontée, car mon piédestal n’est pas encore achevé.

Finalement, après 4 mois de travaux, je suis inaugurée le 28 octobre 1886 dans une liesse générale ! Et je n’ai « que » 10 ans de retard sur la date prévue…
Qui suis-je réellement ?
Je suis une femme de 46 mètres (un peu plus de 66 mètres le bras levé, torche comprise), debout, les épaules tournées de trois quarts, le pied gauche en avant et le talon droit soulevé. Je porte des sandales, et une robe drapée, recouverte d’une stola (nouvelle fenêtre) à la romaine. Je suis coiffée d’une couronne constituée de 7 pointes, symbolisant les 7 continents (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe, Asie, Afrique, Océanie et Antarctique). Ces 7 branches pourraient également évoquer les 7 océans (Arctique, Antarctique, Atlantique Nord et Sud, Pacifique nord et sud et Indien). Mon diadème peut faire penser à celui d’Hélios, divinité solaire de l’antiquité. Je suis assez contente d’avoir échappée au bonnet phrygien (symbole de liberté) auquel avait pensé Bartholdi.

Je tiens contre moi, avec ma main gauche, une tablette qui évoque la Déclaration d’indépendance des États-Unis. De ma main droite, je brandis une torche enflammée, car j’éclaire le monde (certains y ont vu un symbole maçonnique).
J’ai mis 30 ans à obtenir ma jolie couleur verte, œuvre de la patine du temps
Pendant mes 16 premières années, j’ai fait office de phare et mon faisceau lumineux était tellement puissant qu’il était visible à une distance de 39 kilomètres.
Une deuxième jeunesse
Pour mon centième anniversaire, j’ai le droit à de gros travaux. En 1984, les visites sont interrompues et le chantier démarre. Je ne parle pas d’un simple lifting, puisqu’il s’agit de remplacer mon squelette de fer par une charpente en acier inoxydable, de rénover les escaliers internes, d’installer un ascenseur dans mon socle, d’améliorer mon système de climatisation, et enfin, de remplacer ma torche !
Chacune des 1 350 pièces métalliques soutenant mon enveloppe de cuivre est enlevée, puis remplacée. Le fer a subi une forte corrosion galvanique, partout où il était en contact avec le cuivre, – on a pu observer une diminution de la moitié de son épaisseur, car l’isolation de ce deux métaux s’était détériorée- , il est remplacé par du téflon.
Quelques trous sont apparus dans le cuivre de « ma peau », et s’ils ne sont pas reprisés, ils sont lissés et obstrués par de nouvelles plaquettes.
Symbole de liberté, d’espoir, et star de cinéma

« La liberté éclairant le monde » est bien mon nom originel, mais aurait pu être un titre de film. En effet, je ne compte plus les films dans lesquels j’apparais. Je n’ai échappé à aucun genre. Comédies, dessins animés, policiers, anticipations, et ceux dans lequel je suis le plus impressionnante : les films catastrophistes… Les réalisateurs me tournent en dérision, se servent de moi pour apporter une dimension romantique ou angoissante à leurs films, mais surtout ils n’hésitent pas à me maltraiter.
Heureusement que la réalité n’a pas dépassé la fiction : mon bras est arraché dans Godzilla, je perds la tête dans New-York 1997 ainsi que dans Cloverfield, et je suis ensablée jusqu’à la poitrine dans La planète des singes. Les réalisateurs se sont servis de moi à travers ces messages visuels très forts pour exprimer la destruction de notre civilisation, ou la fin de nos libertés.

Je fais aussi régulièrement quelques apparitions dans le domaine de la publicité, mais ce dont je suis la plus fière apparaît en grand format sur les écrans de cinéma depuis 1924. Ne trouvez-vous pas une certaine ressemblance entre mon humble personne et le logo d’une des plus grandes sociétés de production cinématographique « Columbia » ?
